Chili, Irlande, France : Hommage à Helena - « Nous nous sommes connus, Helena et moi... »

par Norman

Hasta Siempre Helena!Nous nous sommes connus, Helena et moi, fonctionnaires du Service national de la santé au Chili, et nous étions aussi des syndicalistes. L’action syndicale fut sa première expérience, dans la voie d’une prise de conscience aigüe sur les inégalités qui divisent la population des sociétés capitalistes et de la nécessité de se battre pour y mettre fin.

Embrasement

L’époque où la rencontre entre Helena et sa prise de conscience se sont produites n’était pas une époque normale. Un processus de radicalisation embrasait l’Amérique latine. Au Chili, l’expérience de la Démocratie chrétienne, avait un temps caché cette évolution et déformé l’appréciation de ce processus de radicalisation. Mais malgré l’effort financier de l’impérialisme américain pour aider à la réussite de cette expérience réformiste, proposée comme alternative pour neutraliser les vents du changement qui soufflaient depuis les Caraïbes, les exigences des changements radicaux se confirmèrent durant l’année 1970.

Mais la radicalisation, naturellement accompagnée de l’aspiration à plus de démocratie, se heurta aussi au comportement bureaucratique des organisations traditionnelles.

Notre petite organisation avait réussi un bon début d’implantation dans notre secteur d’activité. En plus, nous venions de recevoir un apport très important de nouvelles énergies. Avec la scission du MIR, provoquée par les déviations militaristes et la totale absence de démocratie, la Tendance Révolutionnaire Octobre décida de joindre l’Internationale, et fusionna avec la section existante.

Parallèlement, Helena et moi décidions de partager nos vies.

C’est dans ce cadre, une organisation encore de taille modeste, mais susceptible de se developper, un capital politique ancré dans l’histoire du mouvement ouvrier, que, quand le moment est venu, elle a pu choisir la IVe Internationale comme l’organisation où elle désirait militer.

Nos origines respectives, rejetant catégoriquement le climat qu’imposaient les méthodes de fonctionnement bureaucratiquement déformée, stimulant le développement d’une franche camaraderie et vivacité critique, vont façonner les débuts de son expérience militante et ne la quitteront jamais.

Prison

Nous militions, percevant le danger.

L’aveuglement de directions traditionnelles, opposant toutes des obstacles à la mobilisation, à l’accomplissement du programme dont elles étaient porteuses, provoqua le sanglant avortement du processus en ­septembre 1973.

La répression s’abattit, féroce, cherchant a extirper jusqu’à la racine les causes de la peur éprouvée par les classes possédantes.

Nous n’avons pas été épargnés.

Helena a eu ainsi — dramatiquement — dans cette nouvelle expérience l’occasion de mettre à l’épreuve la solidité des convictions acquises. Et elle a su montrer un courage, une dignité exemplaires.

Ni la prison ni la torture ne réussirent à entamer sa confiance dans la validité du combat auquel elle avait choisi de participer. Ni la brutalité ni les vexations dont étaient prioritairement victimes les femmes n’ont entamé ses certitudes. Au contraire, elle devint un soutien, une source d’encouragement pour ses codétenues.

Elle libérée, moi envoyé dans un camp de concentration, au milieu du désert réputé être le plus sec au monde, Helena devint ma seule voie de communication avec le monde existant au-delà des barbelés et champs de mines.

Plus de 2 000 kilomètres nous séparaient. Et elle a réussi à vaincre cette distance pour m’apporter son réconfort et le ravitaillement qui pouvait faciliter notre vie de prisonniers. Et ce plusieurs fois.

Irlande

Un programme de libération et d’exil d’un certain nombre de prisonniers politiques fut alors élaboré par des organisations humanitaires, avec le soutien de l’ONU. Nul ne sut pourquoi les uns et pas les autres se trouvèrent dans la liste de ceux et celles qui devaient s’exiler en échange de leur libération.

Nous avions déjà dû regretter la « disparition » de la mère de ma fille Natalia, qui avait entraîné la rupture de tout lien avec Natalia. Nous ne savions pas où elle était. Pour sa mère nous nous en doutions. Mais elle, nous n’avions pas d’hypothèse.

Je savais Helena inclinée à rester. Les raisons abondaient. Mais le danger était trop présent. Mon exigence de ne pas partir sans elle fut finalement acceptée. Après, la question était : où aller. Les choix étaient limités vu le nombre de candidats au départ.

Et ce fut l’Irlande : choix inespéré, sous pression.

Dès nos premiers balbutiements en anglais, nous avons proposé d’avancer vers la construction d’un mouvement de solidarité avec les victimes de la répression au Chili. Le Irish Communist Party et ses alliés du Official Sinn Fein préféraient les méthodes bureaucratiques qui permettaient de faire la promotion des leaders responsables de la débâcle chilienne, sans rendre de comptes. Nous avons alors entamé une très fructueuse collaboration avec nos camarades du Revolutionary Marxist Group, section de la IVe en Irlande, mais aussi avec des forces comme le Socialis Workers Movement, qui nous a permis de contrer et, dans bien des cas, de battre l’orientation des bureaucraties réformistes.

Limerick, Shannon, Cork, Galway, Dublin, Belfast, et j’en oublie, virent se créer des structures démocratiques, où le débat était ouvert à toutes et tous.

Là encore, c’est Helena qui a fait pratiquement tout le travail de coordination des actions en cours.

Ménages

Et l’expérience de l’exil se poursuivra en France où, après une longue année sans papiers, nous avons réussi à obtenir la reconnaissance de notre condition de réfugiés politiques. Une année où nous avons travaillé comme tous les sans-papiers dans des métiers réservés à cette catégorie de personnes : elle femme de ménage, moi bricoleur.

Mais pas n’importe quelle femme de ménage. Une proposition d’embauche collée à la vitre chez le boucher amena une amie à proposer à Helena d’aller voir. C’était le 22 de la rue de Bièvre. L’entretien donnant un résultat positif, Helena obtint le poste. Ni elle, à peine arrivée en France, ni l’amie, sûrement pas très politisée, ne savaient que la femme qui venait d’embaucher Helena était Danielle Mitterrand et que cette adresse était le domicile officiel de François Mitterrand. Et la principale activité d’Helena allait être, justement, le ménage du bureau de François Mitterand.

Et voilà une carrière de femme de ménage réussie. Le temps passa, son français s’améliora, facilitant sa communication avec la famille Mitterrand. Et, quand elle quitta ce travail, elle a pu garder des relations d’une très bonne qualité avec cette famille, notamment avec Danielle, en toute connaissance de cause, pour leur part, du militantisme d’Helena.

Mais cette rutilante carrière (elle faisait tout briller !) ne se justifiait plus une fois notre situation régularisée. Désormais, nous pouvions reprendre une vie normale. Et militer ouvertement.

Ce qui fut fait.

La Brèche

Et voilà, la future librairie « La Brèche » fait circuler une proposition d’embauche. Helena postule et est acceptée. Et, l’année 1979, elle commence une nouvelle carrière.

Rapidement, sa formation de bibliothécaire et statisticienne l’amena à proposer des nouvelles méthodes de travail, qui, s’insérant dans un véritable plan de sauvetage, permettront à la librairie de surmonter une très grave crise, qui faisait craindre sa disparition.

Et depuis lors, jusqu’à sa mort, elle fut attachée à faire vivre cette expérience.

Des associations, groupes et organisations diverses, même des partis politiques, n’ayant pas à leur disposition l’expertise accumulée par « La Brèche », purent en bénéficier.

Les succès de la librairie, lors des universités d’été, de la LCR puis du NPA, furent, en grande partie, le résultat de son flair, dans la sélection des titres à proposer. Flair présent aussi dans les propositions qu’elle faisait aux divers clientEs.

Non pas qu’il s’agisse là d’un succès individuel. C’était un travail d’équipe, où ses qualités contribuèrent au succès collectif.

Jusqu’à sa mort, la librairie fut pour elle un poste de combat, un outil dans la lutte pour changer la société. Combat qu’elle n’a pas abandonné, sauf forcée par la maladie, qui l’a tuée.

Helena a rejoint les rangs de notre organisation, souffert les conséquences de ce choix, participé directement aux efforts pour construire un monde meilleur dans des pays dont elle n’était pas originaire, parce que, internationaliste, pour elle l’humanité était une.

Et elle l’a fait par amour. Pour les démunis, pour ceux et celles qui souffrent de toutes sortes de privations.

Pour ses camarades, pour ses enfants et ses petits-enfants.

Pour ses amis et amies.

Norman

Δεν θα σε ξεχάσουμε, καλή μας συντρόφισσα Έλενα.

Hasta la victoria siempre. Venceremos!