Grèce
Crise de la dette : du Sud au Nord

par Panos Angelopoulos

2012-12-12_01_Panos_AngelopoulosIl était une fois le premier monde, le « Nord », le deuxième monde, issu du bloc soviétique, et le tiers-monde, regroupant les peuples du Sud. Le deuxième monde s’est effondré avec la chute du mur de Berlin. Dix ans plus tôt, le tiers-monde avait été soumis au diktat du FMI et de la Banque mondiale. Avec la crise financière de 2008, c’est le premier monde qui a basculé. Pourtant, malgré ce changement, ni le rapport dominants–dominés ni les mécanismes de domination ne sont substantiellement modifiés. Actuellement le mécanisme de la dette est au premier plan et donne naissance à des politiques de choc combinant privatisations massives, baisse drastique du coût de travail et dérégulation des relations sociales.

Jamais au cours des 70 dernières années, dans les pays européens, nous n’avons vécu une offensive d’une telle ampleur qu’aujourd’hui. Partout en Europe, on utilise le prétexte de la dette pour appliquer des politiques d’austérité budgétaire. En Grèce, nous voyons clairement les résultats dans la version la plus brutale. Mais la Grèce n’est que le début d’une offensive qui affecte déjà les peuples du Portugal, d’Irlande, d’Espagne et d’autres pays européens.

Un des avatars de la crise du secteur financier qui a débuté en 2007 aux États-Unis et s’est étendue comme une traînée de poudre à l’Europe, c’est l’enthousiasme avec laquelle les banques de l’Ouest européen (surtout les banques allemandes et françaises, mais aussi les banques belges, néerlandaises, britanniques, luxembourgeoises, irlandaises…) ont utilisé les fonds prêtés ou donnés massivement par la Réserve fédérale et la BCE pour augmenter, entre 2007 et 2009, leurs prêts dans plusieurs pays de la zone euro (Grèce, Irlande, Portugal, Espagne) où ils réalisaient de juteux profits en raison des taux d’intérêt qui y étaient plus élevés. À titre d’exemple : entre juin 2007 (début de la crise des subprimes) et septembre 2008 (faillite de Lehman Brothers), les prêts des banques privées d’Europe occidentale à la Grèce ont augmenté de 33%, passant de 120 milliards à 160 milliards d’euros. Les banquiers d’Europe occidentale ont joué des coudes pour prêter de l’argent dans la périphérie de l’Union européenne à qui voulait bien s’endetter. Non content d’avoir pris des risques extravagants outre-Atlantique dans le marché des subprimes avec l’argent des épargnants qui, à tort, leur faisaient confiance, ils ont répété la même opération en Grèce, au Portugal, en Espagne… En effet, l’appartenance à la zone euro de certains pays de la périphérie a convaincu les banquiers des pays de l’Ouest européen que les gouvernements, la BCE et la Commission européenne leur viendraient en aide en cas de problème. Il est plus qu’évident qu’ils ne se sont pas trompés !

Lorsque de fortes turbulences ont secoué la zone euro à partir du printemps 2010, la BCE prêtait au taux avantageux de 1% aux banques privées, qui à leur tour exigeaient de pays comme la Grèce une rémunération bien supérieure : entre 4 et 5% pour des prêts d’une durée de trois mois, environ 12% pour les titres à 10 ans. Les banques et les autres investisseurs institutionnels ont justifié de telles exigences par le « risque de défaut » qui pesait sur les pays dits « à risque ». Une menace si forte que les taux ont considérablement augmenté : en mai 2011, les taux grecs à dix ans dépassaient 16,5%, ce qui a obligé le pays à n’emprunter qu’à trois ou à six mois, ou à s’en remettre au FMI et aux autres gouvernements européens. La BCE doit désormais garantir les créances détenues par les banques privées en leur rachetant les titres des États… auxquels en principe elle s’est interdite de prêter directement.

En 2009, la dette publique grecque représentait 125% du PIB, trois ans après, le traitement préconisé par la Troïka a aggravé l’état du pays, puisque sa dette publique est passée de 175% du PIB et, selon les estimations, elle grimpera à 189% en 2013.
Alors que faire, entre des Grecs qui sont déjà en faillite -qui ne dit pas son nom- et de l’autre côté des créanciers qui ont compris qu’ils ne reverront sans doute jamais la couleur de leur argent !

L’équation est difficile, mais une chose est certaine : avant, c’étaient les banques européennes qui détenaient la dette grecque, aujourd’hui, cette même dette est détenue à 70% par la BCE et par les États d’Europe – et donc, par les contribuables ! Tôt ou tard, les dirigeants européens vont donc devoir annoncer à leur population que la Grèce ne remboursera jamais les presque 200 milliards d’euros qu’elle doit à ses voisins.
Officiellement, personne ne veut encore l’avouer, mais, tôt ou tard, il faudra rayer d’un trait de plume la dette grecque. Plus on tarde et plus l’ardoise sera lourde. Mais aucun dirigeant en Europe n’a envie de donner ce genre d’explication à ses contribuables. En attendant un orage qui finira par arriver, on gagne du temps. Comme on le fait déjà depuis 3 ans avec un résultat désastreux.

Les Mémorandums

Le délabrement en cours de la société grecque traduit bien la crise d’ensemble du système capitalisme. Mais il est aussi le résultat d’un cumul de plans successifs d’austérité (Mémorandums) imposés en mai 2010, février et octobre 2012 par la Troïka, de concert avec les créanciers privés (banques, fonds d’investissement, etc.) qui avaient fait de la Grèce un hôte ensoleillé pour leur business durant les années 1990 et 2000. Notamment pour leurs ventes d’équipement militaire (avions de chasse, sous-marins, chars de combat, etc.), marché sur lequel la Grèce fut un excellent client.

Le contenu des Mémorandums est présenté comme un ensemble de mesures strictement techniques visant à « rééquilibrer les comptes publics », « atteindre un ratio raisonnable dette/PIB », « accroître la compétitivité de l’économie grecque », « fluidifier le marché du travail », « introduire une efficacité des instances administratives et gouvernementales, afin d’imposer une bonne gouvernance », autrement dit une gestion similaire à celle d’une entreprise « lancée dans la compétition mondiale ». La société grecque et son histoire, les classes sociales qui les structurent n’existent pas. Toutes ses composantes sociales sont strictement réifiées ; il ne s’agit que de « choses à régler » avec efficience. Elles deviennent donc l’objet d’une « action rationnelle » d’experts qui ne peut pas être mise en cause. Celle-ci doit y compris échapper au fonctionnement d’une démocratie formelle bourgeoise lorsque ses caractéristiques font obstacle aux « raisons supérieures » de « l’ordre économique » de la zone euro. Dans ce sens, les termes Mémorandum, état d’exception et état d’urgence dialoguent entre eux.

Du côté de la bourgeoisie, un débat en quelque sorte parallèle sur l’affirmation d’un nouveau leadership –qui peut conjuguer technicité et autoritarisme– est à l’ordre du jour. C’est là une caractéristique du type de crise d’ensemble qui touche aujourd’hui certaines formations sociales au sein de l’Union européenne.

Dettes illégitimes et odieuses

Disons-le clairement : en Grèce, comme dans les autres pays qui ont passé des accords avec la Troïka, les nouvelles dettes sont non seulement illégitimes ; elles sont également odieuses, et ce pour trois raisons :
1. les prêts sont assortis de conditions qui violent les droits économiques et sociaux d’une grande partie de la population ;
2. les prêteurs font du chantage à l’égard de ces pays (il n’y a pas de véritable autonomie de la volonté du côté de l’emprunteur) ;
3. les prêteurs s’enrichissent abusivement en prélevant des taux d’intérêt prohibitifs. Pour des pays comme la Grèce, le Portugal ou des pays d’Europe de l’Est, c’est-à-dire des pays qui sont soumis au chantage des spéculateurs et de la Troïka, il convient de dénoncer et annuler les Mémorandums et recourir à un moratoire unilatéral du remboursement de la dette publique. C’est un moyen incontournable pour créer un rapport de force en notre faveur.


Dans le cas de la Grèce, et pour fonder juridiquement une annulation unilatérale de dette extérieure, il est aussi possible de s’appuyer sur un argument de droit international : l’état de nécessité. Celui-ci se caractérise par une situation de danger pour l’existence de l’État, pour sa survie politique ou économique, comme une instabilité sociale grave ou l’impossibilité de satisfaire les besoins de la population (santé, éducation, etc.). Il ne s’agit pas d’un empêchement absolu de remplir ses obligations internationales, mais le fait de les remplir impliquerait pour la population des sacrifices qui vont au-delà de ce qui est raisonnable. L’état de nécessité peut justifier une répudiation de la dette, car il exige alors d’établir une priorité entre les différentes obligations de l’État.

Il y convient également de réaliser, sous contrôle citoyen, un audit de la dette publique. Son objectif est l’annulation/répudiation de la partie illégitime ou odieuse de la dette publique et la plus forte réduction du reste de la dette. La réduction radicale de la dette publique est une condition nécessaire mais pas suffisante pour sortir de la crise. Il faut la compléter par toute une série de mesures de grande ampleur dans différents domaines (impôts sur le grand capital et patrimoine, rapatriement des capitaux placés dans d’autres pays, transfert du secteur de la finance dans le domaine public, socialisation des secteurs clés de l’économie, garantir l’emploi, les salaires, le quotidien, etc.).

Court bilan de la crise en Grèce sur le plan économique, social et politique :
Crise économique
PIB

ELSTAT, l’agence de statistique de la Grèce, vient de publier ses dernières données : l’économie continue de s’effondrer, et ce sur une pente désormais rapide. Depuis 2009, en valeur constante, le PIB a passé de 211 milliards d’euros à 171 milliards, soit une chute cumulée de 19%. En termes de chiffres, c’est pire que la faillite de l’Argentine en 2001 et à peu près l’équivalent de la dépression économique aux États-Unis et en Allemagne dans les années ’30.

La rapidité de cet effondrement est due à plusieurs facteurs. Il y a en premier lieu les politiques d’austérité. En second lieu, la contraction du crédit et le développement de l’économie de troc qui en découle aboutissent à une accélération du processus d’effondrement. Des pans entiers de l’économie grecque sont à l’arrêt non parce qu’ils n’ont pas de clients (en particulier à l’export), mais parce qu’ils ne peuvent plus financer le cycle de production. Il y a un énorme problème de liquidité. Dans le même temps, d’autres secteurs sortent de l’économie officielle du fait du développement du troc. En fait, on peut considérer qu’un tiers de la population ne survit que par le troc ou des systèmes de paiements locaux. Ce phénomène semble être en train de s’accélérer. Il devrait provoquer à relativement court terme un effondrement des ressources fiscales.
Pourtant, personne n’a pensé toucher le grand capital, les banques, les armateurs et le plus grand propriétaire foncier dans le pays, l’Église.

La consommation s’est contractée de manière très forte. Par rapport au niveau de 2005, le niveau des ventes de détail a baissé de 24%, et de 15% pour la production alimentaire. Si l’on peut espérer que cette baisse est en partie compensée par le développement des réseaux de troc pour l’alimentation et la consommation courante, il ne peut en être ainsi pour certaines consommations, comme celles des services publics (éducation, santé).

Puis, la croissance est négative et de l’ordre de -7% pour le 2012

Croissance économique de la Grèce (PIB) :

AnnéePrévisions de la Troïka en Septembre 2010 :Réalité :
2010 -4,00% -4,90%
2011 -2,60% -7,10%
2012 +1,10% -7,00%**

**prévision début novembre 2012

Les investissements productifs ont également chuté : en volume, ils ont passé d’un indice de 175 à 75.

Les exportations ont passé d’un indice de 140 à moins de 120.

La masse des impayés fiscaux recensés (impôts, taxes, TVA, etc.) a passé de 3,8 milliards d’euros à plus 10 milliards (tandis que certaines estimations la veulent supérieure).
Une telle dépression – dans sa durée et son ampleur – est une « première » en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale.

Revenus des ménages

Le pouvoir d’achat a baissé d’un tiers.
Seulement pour la période mi-2011 – mi-2012, on observe une chute de 15% sur le revenu des ménages et de 9,5% sur les allocations sociales. Par contre, on a connu une hausse des impôts de 37%. Rappelons ici que le seuil des revenus non imposables est passé de 12 000 à 5 000 euros.
Ces données expliquent pourquoi 853 282 personnes sont enregistrées auprès de divers organismes officiels, y compris de l’Église, pour avoir accès à une aide alimentaire quotidienne. Et les mesures du troisième Mémorandum, adopté le 7 novembre, n’ont pas encore déployé leurs effets acides.
Un ménage doit aussi se chauffer : chose pas évidente quand le prix du litre de mazout de chauffage est fixé à 1,35 euro, en augmentation de 35% par rapport à l’année passée. En zone rurale, la forte hausse de l’utilisation du bois de chauffage est un indice de l’impossibilité de se chauffer en utilisant le mazout.
Quant à l’électricité, en 2011, 30 000 ménages et petites entreprises (donc de bas voltage) étaient sujets à des coupures d’électricité suite au non-paiement des factures. Le prix de l’électricité a déjà été augmenté et, dès janvier 2013, une hausse de 40% interviendra, en deux ou trois étapes.

Crise sociale

Chômage

AnnéePrévisions de la Troïka en Septembre 2010 :Réalité :
2010 11,80% 14,40%
2011 14,60% 21,20%
2012 14,80% 25,4%

Chiffres à la fin août 2012.

Chez les femmes et les jeunes, le chômage a atteint le 57%.
Résultat bien concret : le nombre des actifs est actuellement inférieur à celui des chômeurs et des retraités.

Apparition des nouveaux phénomènes de malaise social

2012-12-12_02_Capture-4p-2-db734Des SDF : De quelques centaines dans l’ensemble du territoire, le nombre de sans-logis est actuellement estimé à 40 000 ; un nombre qui aurait explosé si le logement familial ne servait pas d’amortisseur.

La famine aussi commence à tenailler une partie croissante de la population, d’où maints évanouissements d’enfants à l’école à cause de bruts changements à leur alimentation quotidienne ; l’essor des « soupes populaires » ; la distribution de nourriture par diverses ONG et initiatives solidaires ; les pratiques de troc. Notons ici le cynisme du gouvernement et de la grande distribution de mettre en vente –de manière « visiblement séparée », selon les recommandations gouvernementales– les produits ayant dépassé leur date de péremption.

Les néo-pauvres : En 2010, l’ELSTAT évaluait le nombre de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté à 2,34 millions, donc plus que le 20% de la population. Il est estimé qu’en 2012 le nombre de personnes survivant en dessous, souvent largement en dessous de ce seuil, va atteindre quelque 3,3 millions de personnes. La pauvreté frappe avec plus de force les enfants jusqu’à 15 ans des familles monoparentales et les personnes de plus de 65 ans.

Suicides : le taux des actes de suicide étaient parmi le plus bas en monde occidental. Au cours de deux dernières années, on en enregistre une hausse de 40%. Ceci dit, on parle de 3 personnes tous les 2 jours. Des personnes qui viennent d’être licenciées, qui ont subi des coupes drastiques sur leurs salaires, retraites, allocations, et qui n’arrivent pas à joindre les deux bouts.

Crise humanitaire : Dès avant le début de la crise, les caisses d’assurance maladie grecques étaient structurellement déficitaires. Tous les deux ou trois ans, l’État les renflouait. Mais depuis 2009, en réponse aux injonctions de la Troïka et dans l’espoir d’équilibrer les finances du pays, les dépenses publiques dans le domaine de la santé ont subi une diminution de 32 %. Pourtant, l’hôpital public avait déjà subi des coupes budgétaires de 40 % entre 2007 et 2009, et il est ainsi entré en période de crise en situation de grande faiblesse. Pour tenter de rétablir les comptes, les patients se sont vus demander un paiement forfaitaire de 5 euros il y a deux ans et de 25 euros aujourd’hui pour toute consultation ; puis, une participation variable aux frais médicaux. Les chômeurs, eux, ne sont plus couverts un an après la perte de leur emploi et doivent s’acquitter de la totalité des frais médicaux. Le plus souvent, ils ne se soignent pas et attendent que les pathologies s’aggravent pour finalement se rendre aux urgences. Les admissions y ont bondi d’un tiers. Les unités de soins intensifs sont également débordées : les syndicats estiment que 30 à 40 personnes sont chaque jour privées d’accès à ces services. Ils signalent aussi la grande pénurie des consommables quotidiens (seringues, pansements, masques) et des médicaments.

Si le système de soins frise l’explosion, celui de la distribution de médicaments ne va guère mieux. En retard sur les remboursements, l’État doit plus d’un milliard d’euros aux laboratoires et aux pharmaciens. Les premiers appliquent souvent des prix exorbitants et, très récemment, ils ont décidé de retirer du marché grec des médicaments pour des maladies chroniques. Les pharmaciens, de leur côté, sachant qu’ils ne seront pas remboursés par les caisses d’assurance-maladie, refusent très majoritairement de fournir gratuitement les médicaments aux patients.
Les rapports des ONG, tels que Médecins de Monde, sont accablants. Ils font état d’une crise humanitaire qui s’étend à la vitesse grande V, surtout dans les centres urbains. Tandis que par le passé leurs missions et interventions concernaient des migrants sans-papiers ou des SDF, ils se trouvent actuellement débordés par les visites des grecs ne bénéficiant pas d’assurance maladie. Et cela concerne plus qu’un tiers de la population grecque...
En même temps, dans tout le pays, des maladies disparues pendant des décennies sont de retour ; tel est le cas du paludisme ou de la tuberculose.

Sur le plan de l’emploi, tant que cela existe,

Le SMIC est actuellement à 586 euros bruts, donc près de 490 nets, tandis que les conventions collectives sont en voie de disparition se transformant à des contrats individuels, trop souvent imposés aux travailleurs sur menace de licenciement.

Dans le privé, 60 000 petites et moyennes entreprises ont déposé le bilan au cours de 2011. Mais des sociétés importantes aussi soit déposent le bilan soit optent pour la délocalisation. Tout cela se traduit automatiquement par des licenciements massifs.
Et encore, des licenciements importants se profilent pour 2013 avec la réorganisation, par exemple, du secteur bancaire (fusions et fermetures) qui aboutira à quelque 20 000 licenciements sur un total de 56 000 salariés.

Dans le secteur public, initialement, il a été question de supprimer quelque 150 000 postes jusqu’à 2015. Pourtant, des nouvelles formulations ont fait leur apparition afin de rendre cette perspective plus « digérable ».
La grande nouveauté s’appelle « réserve de travail ». Des employés de l’administration publique centrale et des municipalités vont être versés dans une « réserve », pour un an, avec un salaire réduit de 25%. Si dans un an, aucune nouvelle place n’est disponible, ils seront licenciés sans compensation ! D’ici la fin d’année, cette mesure concerne 2 000 employés.

Cependant, les « reformes structurelles » se centrent sur ladite « restructuration du secteur public », c’est-à-dire la suppression de divers services, institutions, organismes qui interviendra en 2013 produisant 20 000 « réservistes », mais surtout et avant tout sur la privatisation des organismes publics de l’eau, de l’électricité et des chemins de fer qui déboucheront sur une purge sévère du nombre de travailleurs.

Il faut aussi ajouter que, en 2011, plus de 400 000 salariés avaient été payés avec au moins trois mois de retard. Ce nombre est en train d’exploser en 2012. En outre, la pratique de ne payer qu’une partie du salaire –face à la menace d’une faillite imminente– se répand.

Crise politique

Dans ce cadre de désintégration de toute forme de solidarité institutionnelle, des graves atteintes aux liens sociaux et de destruction du tissu social, l’approfondissement de la crise politique est inéluctable. Par ailleurs, cela se préparait depuis plusieurs années déjà. Le gouvernement Papandréou n’a fait que l’accélérer et l’approfondir en mettant à la lumière du jour la séquestration systématique de la souveraineté populaire par des élus qui s’appliquent à mettre en place des mesures au contrepied du mandat qu’ils ont reçu et en pleine violation des intérêts du peuple. Cette rupture entre les représentants et les citoyens était déjà consommée jetant un discrédit et délégitimant l’ensemble du système politique traditionnel.

Il y a juste un an, on a été témoin d’une première en Europe : une coalition gouvernementale entre le PS, la Droite (Nouvelle Démocratie) et la droite extrême (LAOS), avec un premier ministre non élu et technocrate de renom, Papadémos. À l’époque, le parti de la Droite disait faire un « grand compromis pour des raisons d’intérêt national », étant donné qu’il jouait encore la carte de fervent opposant au Mémorandum et aux mesures d’austérité… Figurez-vous que, à l‘époque, on était scandalisé d’une telle configuration. Elle confirmait la grande dégradation de la démocratie et de la vie politique.

Aujourd’hui, la configuration est un peu différente, mais pas moins inquiétante.
Entretemps, on a eu la montée spectaculaire de Syriza, coalition antilibérale s’opposant aux Mémorandums et aux mesures d’austérité, qui a passé du 4% au 27% des suffrages. Six mois après les élections, il est crédité de plus de 30% dans les sondages et il n’est pas improbable qu’il devienne la principale formation politique du prochain gouvernement.
Le PASOK (PS) s’est littéralement effondré. Un effondrement qui n’a pas fait son chemin si on se fie aux sondages le situant actuellement au 5% des intentions de vote.
Le PC – qui vient de fêter ses 94 ans – a connu le plus mauvais score électoral dans son histoire, payant son sectarisme au prix de la marginalisation.
La Droite s’est soudée avec le retour au bercail des « grandes personnalités » du centre-droit mais aussi et surtout de la droite extrême. Elle a retrouvé ainsi son bon vieux visage d’une « droite profonde » en refermant une parenthèse de promotion d’un profil moderne de centre-droit. Elle dirige donc l’actuelle coalition gouvernementale, avec le PASOK et la Gauche Démocratique (scission droitière de Syriza), en pleine continuité avec la politique austéritaire du gouvernement précédent.
Malgré sa faible majorité, ou peut-être à cause d’elle, elle n’hésite pas à procéder par coups de force successifs, ne piétinant pas seulement la volonté populaire et le bien commun, mais aussi la Constitution. Elle s’avère plus servile que même les créanciers ne le souhaitent.

Accessoirement, la répression s’intensifie : pas seulement sous les formes plus ou moins habituelles contre les manifestants ou les syndicalistes. Il est aussi question de recours à des tortures infligées à des « opposants au système » pendant leur garde à vue...
Dans la rue, la violence d’État trouve un appui considérable à des groupes de fachos qui soit font partie intégrante des forces de l’ordre, soit sont ouvertement épaulés par elles.
À la place du LAOS, le parti de la droite extrême – une sorte de FN à la grecque, qui a complètement éclipsé du paysage politique en payant au prix fort sa participation à la coalition gouvernementale précédente –, on trouve actuellement une autre formation de l’extrême droite. Et si la plupart de cadres politiques du LAOS a rejoint la ND, sa disparition a ouvert un boulevard à cette extrême droite « anti-systémique » et « décomplexée » (sic), l’Aube Dorée.
Il ne s’agit pas d’une extrême droite à la façade plus ou moins républicaine. Il s’agit d’une extrême droite assumant ouvertement son raciste, sa xénophobe, son négationnisme. Il s’agit des milices armées qui opèrent quotidiennement par ratonnades, lynchages, attaques violentes et armées. Au début contre les migrants, ensuite contre les militants de la gauche, puis contre les homosexuels, des artistes, des instits progressistes et des intellectuels…
Aux cours de trois ans, elle a passé du 0,5% au 7% des suffrages. Sa progression continue, enregistrant la dynamique la plus forte toutes formations confondues. A l’heure actuelle, elle est créditée de plus de 12% d’intentions de vote.
Elle est là, de plus en plus ancrée : dans le parlement avec ses 21 députés, dans les quartiers avec ses milices et ses sympathisants en nombre croissant, mais surtout dans des consciences. Elle est là pour nous rappeler que les crises capitalistes, crises structurelles sur le plan économique, social et politique, ont aussi un corollaire. Il vient du passé, il hante le présent et il risque d’augurer l’avenir de plus d’un peuple : c’est la montée du fascisme.

Intervention de Panos Angelopoulos, le 30 novembre à une soirée projection-débat près de Quimper, en Bretagne.

{module AddThis-For-Joomla|none}